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Eryn Non Dae. - interview
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Pour ceux qui ne le savent pas, je tiens un podcast musical "Up to 11".
Et dans le cadre de celui, j'ai pu m'entretenir par email avec le groupe "Eryn Non Dae." et plus particulièrement, Mika son bassiste (mais aussi Franck, l'un des guitariste).
Avant de commencer d'autres interviews du groupe :
- Interview de Eryn Non Dae. Par Mail - metalorgie.com - août 2009
- ERYN NON DAE ASSUME SON HONNÊTETÉ - radiometal.com - octobre 2012
- E.N.D. (Eryn Non Dae) - soilchronicles.fr - octobre 2012
- Eryn Non Dae. par mail, 2013 - metalorgie.com - mars 2013
- ERYN NON DAE. : Interview de Franck Quintin - guitariste-metal.fr - décembre 2014
- Eryn Non Dae - spirit-of-metal.com - 2018
Et maintenant, l'interview de Mika du groupe Eryn Non Dae. que je remercie encore.
Bonne lecture !
Gandalf81 - Ce qui m'interpelle le plus dans votre musique, dans son approche et dans le rapport que vous entretenez avec elle, c'est qu'elle relève presque du sacerdoce, d'une forme de déférence vis-à-vis de l'art musical. Comment appréhendez-vous cet art musical ?
Mika (bassiste d’Eryn Non Dae.) - Et bien pour faire plutôt court, il est marrant de se rendre compte que ce n'est pas forcément quelque chose de planifié, je veux dire planifié globalement. Le fait que le groupe existe depuis presque 20 ans maintenant donne cette impression de sacerdoce et de dévouement infini, mais c'est quelque chose qui se construit dans le temps.
Ce qu'a construit le groupe résulte directement des envies et exigences des personnes qui le compose, tout le monde n'est pas impliqué de la même manière selon les périodes, mais chaque opinion et envie donne lieu à une réflexion, des débats et des décisions.
À la lumière des albums et des choix faits sur ces derniers depuis toutes ces années, je comprends que cela puisse s'apparenter à un sacerdoce. Mais c'est vraiment quelque chose dont on s'aperçoit des années après, en se retournant un peu sur cette longue route parcourue depuis le premier EP en 2005.
Toujours dans cette continuité, cette musicalité que vous souhaitez partager est-elle intimement liée au style métal extrême en tant qu'élément narratif fondamental ou simplement un moyen de véhiculer cette narration dans un style qui vous correspond ?
J'imagine qu'au départ le cadre du métal extrême est le moyen, le cadre qu'on choisit, car c'est la musique qu'on écoute tous, en tout cas il y a 20 ans. Et ensuite, en se noyant dedans tel qu'on l'a fait, il devient notre outil, ou en tout cas l'ensemble des accessoires dont on dispose pour raconter l'histoire, ce style s'est forgé sur les bases de nos goûts communs, qui est le métal, pas forcément extrême d'ailleurs, les variantes les plus dures de cette musique n’intéressent pas forcément tout le monde dans le groupe, loin de là.
Du coup, il est marrant de se rendre compte que notre musique est sûrement plus extrême que la plupart de ce qu'on aime écouter.
N'y aurait-il pas une dichotomie entre le fait de proposer une musicalité extrême, viscérale et de proposer cela avec une production qui demande plus d'imbrication, d'attention pour en ressentir toutes les nuances ?
Peut-être oui, dans un sens. Parfois je me dis que beaucoup de fan de métal qui tombent sur les albums du groupes doivent ressentir ce sentiment de propos dilués. Pour le formuler bêtement, le métal doit comporter cette dimension primitive et brut pour permettre à l'auditeur de combler son désir de violence, car même si tout est bien plus complexe que ça, historiquement, le métal est une musique violente et directe, mais nous savons que ce fonctionnement très démocratique et participatif au sein du groupe nous conduit à cette musique très nuancée. Une idée simple devient petit à petit un développement plutôt sinueux parce que nous cherchons à en explorer toutes ses variantes, quitte à nous éloigner de l'intention première, c'est une conséquence avec laquelle nous avons appris à jouer justement, je crois que nous sommes parfaitement à l'aise avec les différents niveau d'écoutes de nos albums, nous les savons à tiroir et pas forcément immédiats, comme pour leur productions, mais c'est ainsi que nous fonctionnons, jusqu'ici
Vos albums sonnent de façon très homogènes, comme une œuvre de fiction avec une temporalité et une narrativité cohérente, n'avez-vous pas envie par moment de faire un pas sur le côté pour vous surprendre vous et les auditeurs ?
Si bien sûr, et chaque nouvel album comporte son lot de pas de côté justement, mais peut-être pas de manière aussi évidente pour toi. Pour Meliora, il y avait ces éléments plus ambiants et texturés par rapport à Hydra Lernaïa, sur Abandon of the Self, c'était l'arrivée plutôt importante d’éléments électronique et l'abandon du recours systématique à la voix hurlée, ce sont des manière pour nous de maintenir notre intérêt pour ce que nous faisons, certains d'entre nous aimeraient aller beaucoup plus loin, mais le groupe reste, jusqu'ici, cet espace d’expression pour nous 5 et donc le reflet des envies de chacun tempérées par celles des autres.
Est-ce que produire des œuvres radicalement introspectives n'est pas l'aspect principal qui désarçonnent le plus le public (auditeurs, tourneurs, ...) autour de votre musique ?
On s'est posé la question bien des fois depuis toutes ces années, et il y a sûrement un élément de réponse là dedans oui. Nous voyons clairement les cycles défiler depuis que nous sommes là, et il est évident que notre musique n'a jamais vraiment rencontré l'envie du plus grand nombre.
Il y sûrement cette forme d'introspection et d'écoute active qui rebute de plus en plus de fan de métal, à en juger par les chiffres du streaming sur Spotify, qui se jauge plus en nombre d'écoutes d'un titre qu'en tentative de comprendre un album. La durée moyenne des disques s'est beaucoup réduite aussi, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, mais là aussi, c'est révélateur de cette manière de consommer la musique rapidement, sans s'engager, si je n'ai pas ce que je veux au bout de 15 secondes, j'avance ou je zappe, la nécessite de creuser pour comprendre et finalement partager et ressentir ne fait pas recette en 2020, et Eryn Non Dae. ne fonctionne que comme ça. Un disque de musique extrême a d'autre raison d'exister que celle de satisfaire une basique envie de « guitare qui crache et du chanteur qui crie » pour reprendre la formulation d'un célèbre trio de comique de chez nous ! ;)
Nous savons notre musique exigeante et peu immédiate, sur bien des aspects, et là aussi, c'est une chose avec laquelle nous avons appris à vivre. Je ne dirais pas que ce n'était pas dur pour nous à certains moments, mais maintenant, nous acceptons ça plus sereinement. Le groupe ne représentera jamais ce qu'il y a de facile et fun dans le métal, mais il est l'incarnation de ce que nous voulions créer sur chaque nouvel album, à 100 %, et quand bien même nous n'avons jamais fait de tournée à rallonge et jamais vendu des palettes d'albums, nous avons trouvé à l'intérieur de l'écriture de ces albums, une certaine forme d'accomplissement.
Il a un fil rouge dans la carrière du groupe, c'est votre longue collaboration avec Mobo. Pourquoi, malgré ce besoin de toujours explorer plus en profondeur votre musicalité, continuer à faire confiance à une personne qui vous accompagne depuis votre premier album ? Quel rapport entretient-il dans votre processus créatif ?
Je dirais qu'il a vraiment su concrétiser certaines attentes et envie dès le premier EP, lorsque le son du groupe était encore à définir, c'est sûrement lui qui a précisé ce que nous ne pouvions alors qu'envisager de loin. Depuis Hydra Lernaïa, nous « préprodons » chaque album très précisément, 99% de la musique est écrite, travaillée et enregistrée sous forme de démo avant d'entrer en studio avec Mobo, mais ce dernier apporte vraiment son expertise à la fin, quand il faut magnifier l'ensemble et aller encore un peu plus loin avec le chant notamment, c'est une partie importante de sa contribution, surtout au début.
Quant à la raison pour laquelle nous bossons toujours avec lui, c'est parce qu'il est un ami, quelqu'un de très sérieux dans le travail, et qu'il a su accompagner les transformations voulues par le groupe, car il y a toujours une dose d'évolution qui nous empêche de reproduire exactement le même processus, et Mobo sait les accueillir et en tirer son parti. Chaque album à été enregistré dans un endroit différent par exemple...
L'envie de tester des choses différente avec d'autres personnes à souvent été débattue, mais le besoin de ne pouvoir se concentrer que sur l’exécution pure des morceaux et peut-être une certaine habitude nous ont fait revenir à Mobo jusqu'ici. Mais je dois dire que les choses évoluent beaucoup en ce moment dans le groupe, et au-delà de nos envies, certaines contraintes pourraient bien avoir des conséquences sur nos futurs choix concernant les enregistrements.
Avez-vous déjà eu des débats entre membres d'END ou avec d'autres groupes par rapport à m'être en scène la formation sur les réseaux sociaux ? Avec quel recul jugez-vous cette tendance ?
C'est intéressant, car c'est maintenant incontournable, et il nous est arrivé régulièrement de se poser la question, mais nous sommes toujours tombés d'accord sur le fait que cela ne nous ressemblait pas du tout, et donc que ça ne faisait pas partie des sacrifices que nous étions prêts à faire pour gagner en visibilité.
Il y a toute une ribambelle de choses qui sont très utiles pour mettre un groupe en avant, mais encore faut-il que ça serve le propos, la mode des playthrough par exemple, cela ressemble plus à une obligation promotionnelle qu'à une réelle volonté de mettre en lumière le jeu d'un instrumentiste qui aurait quelque chose à montrer ou à apprendre aux personne intéressées par la technique instrumentale. Et même si je comprends cette nécessité de mettre en avant un groupe en période d’exploitation, je sais aussi que je n'y trouve que rarement mon compte, non par exigence démesurée, mais plus par le volume qui nous parvient chaque jour, il est juste impossible de rester intéressé par tout ça, en tout cas pour moi et mes comparses.
Cette mode du playthrough ou du faux live, ou même du streaming maintenant, avec la situation du Covid, tout ça noie tellement tout, je sais que la vidéo est clairement le média du siècle, mais de là à tout montrer, à produire des vidéos pour absolument tout, sous prétexte de ne pas disparaître sous l'actu des autres aux yeux des fans en manque de news quotidiennes, je ne sais pas...
Il en va de même pour les clips, combien de clips réellement réussi, avec ou sans budget d'ailleurs ?
Là aussi, qu'importe s'il apporte réellement quelque chose ou pas, tant qu'il y en a un quelconque, souvent de type « je fais semblant de jouer dans un hangar bien éclairé », à la sortie du disque, tout le monde est content.
Nous restons très frustrés à ce sujet d'ailleurs, après le premier clip pour « The Decline And The Fall » nous sommes vraiment resté sur notre faim sur le sujet des vidéos pour Eryn Non Dae. Impossible de retrouver cette alchimie entre nos envies et la faisabilité de telle ou telle idée...
Alors pour ce qui est de la mise en scène d'Eryn Non Dae. Sur les réseaux sociaux, nous nous limitons à ce qui nous ressemble vraiment, il reste une majorité de membre du groupe qui n'utilise pas Facebook, et certains d'entre nous n'avaient pas le net il y a encore quelques années, donc Franck est celui qui s'occupe de tout ça majoritairement, car il est le plus à l'aise avec tout ça.
Et je crois que nous sommes tous d'accord sur le fait que l'époque manque cruellement de mystère, celle qui créée l'envie et l'attrait, et même si nous avons conscience de l'importance de cette mise en scène comme tu dis, nous sommes tout simplement incapable d'en faire plus, et quitte à sonner vieux cons, le contenu de nos albums restent le centre de notre travail.
Es-ce que les canaux de diffusion de musique par Internet ont permis au groupe de se bâtir une communauté, la taille important peu, et notoriété ou est-ce un miroir aux alouettes qui perpétue les schémas précédemment existants comme à l’époque du tout CD ?
Je ne peux pas nier que cette accessibilité nous a évidemment permis de toucher des gens qui n'auraient jamais entendu parler du groupe autrement, mais il est difficile de dire dans quelle mesure. Est-ce que la possibilité pour tout le monde d'être vu ne finit-elle pas par noyer ceux dont la production « vaut » vraiment une exposition ?
Quand il y avait tous ces filtres et barrages avant d'avoir accès à un groupe, la première démo, la signature par un label qui misait de l'argent sur une sortie, et donc qui avait un intérêt très direct à s'en occuper, tout ça devait sûrement laisser de superbes artistes sur le bord de la route, mais cela permettait aussi une certaine sélection. Eryn Non Dae. n'en n'aurait peut-être pas fait partie, mais c'était un jeu à jouer, est-ce qu'il valait mieux un Slayer qui avait réussi à se faufiler, ou 256 Slayer à écouter en même temps ?
Et maintenant aussi, cette profusion ne permet qu'aux plus aidés financièrement à sortir du lot, tout se paye pour passer devant, les tournées s'achètent, les labels demandent aux artistes de payer les pressages, car l'argent ne rentre plus, les enregistrements, la promo, les tee-shirts, Youtube permet à tout le monde d'écouter tous les albums qui existent gratuitement, mais ne rendra jamais un centime à qui de droit, rien....
Donc, là aussi, est-ce réellement une chance pour un groupe de pouvoir faire tout tout seul, de pouvoir n'en faire qu'a sa tête selon ses envies, tant qu'il a l'argent pour ? Et du coup de ne rien pouvoir faire s'il n'en a pas les moyens ? Je ne suis sûr de rien, mais je me pose tous les jours la question....
Eryn Non Dae. N'a qu'une minuscule communauté comme tu dis, mais nous avons aussi conscience de la chance que nous avons de compter certaines personnes dedans, et même s'il y a beaucoup de frustration concernant la trajectoire du groupe, nous nous rappelons clairement les bons moments vécus grâce à cette communauté justement, c'est peu et en même temps, c'est tout ce qu'il reste quand on est plus devant l'ordi.