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Rugby : le psychodrame à la francaise

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Le 17 octobre 2015, le XV de France est tombé sur plus fort, beaucoup plus fort.
Une défaite sans appel, 62-13 vécu comme un naufrage, qui devait enfin permettre au rugby français d'ouvrir les yeux.

Ce match devait faire bouger les lignes.
Je vais vous faire mon retour et donner mes impressions sur ses six derniers mois du rugby français.
J'aurai aimé faire cet article à la sortie de la coupe du monde, mais il est surement salutaire d'avoir attendu la fin du Tournoi des six nations 2016 pour mettre en perspective mon analyse.



Le rugby français

En terme de licenciés, la France était la troisième nation au rang mondial en 2007(1).
Sur l'exercice 2014-2015, le nombre de licenciés est évalué à 440 000, le chiffre d'affaires de la section amateur(incluant le XV de France) est d'environ 120 millions d'euros et le chiffre d'affaires des championnats professionnels représentant 136 millions d'euros (2).
En comparaison, la RFU, la fédération du rugby anglais représente plus de 700 000 de licenciés pour un chiffre d'affaires 295 millions d'euros (3).
Pour rappel, le stade de Twickenham appartient à la fédération anglaise alors que la FFR loue le Stade de France à un consortium. 
On notera que l'économie du rugby hexagonal évoluent depuis plus de 10 ans (4), malgré un enclin aux déficits (5).

Malgré tous ces chiffres, le XV de France peine à tenir le rang.
De 4éme en 2012 et 85,07 points (6), elle est passé à 78,36 points. Ce qui là met en coude-à-coude avec l'Écosse et à un point du Japon.
Chose qui s'explique assez facilement.

Le XV de France a longtemps eu du mal avec les nations de l’hémisphère sud comme nos confrères du nord.
Aujourd'hui, on compte même plus les grosses piquettes. Par contre, elle a maintenant du mal contre les nations du nord. À l'image des deux défaites à Rome contre l'Italie, une équipe qui n'a jamais confirmé.
Un mal-être qui dure déjà depuis longtemps, avec par exemple la contre-performance de coupe du monde 2007 à domicile, dont seul la finale de l’édition 2011 vient faire illusion.

Une entité à deux visages

Une part de l'explication vient du système de structure du rugby français : celui d'une bête bicéphale.
Celui de la FFR contre la LNR (top 14 et Pro D2), les amateurs contre les professionnels.
Un découpage qui va dans deux directions diamétralement opposées (7).
Une chimère que l'on retrouve en Fédérale 1 avec un écart immense entre les budgets (8), avec des clubs qui ont plus de finances qu'un club de Pro D2. Pas mal pour des amateurs.

Le XV de France regroupe donc des professionnels sous la bannière du rugby amateur, sans vraiment de grandes cohérences et stratégie de fond.
La plupart des pays rugbystiques ont compris depuis longtemps l'importance de travailler conjointement entre les fédérations et les clubs ou provinces, voir en renversant simplement le rapport de force. C'est-à-dire que c'est les amateurs qui régulent les professionnels (Pays de Galles, Nouvelle-Zélande, ...).
Les clubs s'occupent des internationaux et les rendent pour les phases de préparations qui sont, pour le coup, plus longue qu'en France.

Chez nous, c'est les clubs qui mènent la danse avec, pour caricaturer, plus d'enjeux que de jeu. En effet, les clubs sont pleinement professionnels et le manque de résultat peut avoir une incidence forte sur les finances.
Des présidents qui prônent un passage du Top 14 au Top 12 (9), pour le bien du XV de France et des joueurs, mais qui ne souhaiteront jamais s'asseoir sur le manque que cela fera dans la billetterie ou bien qui font des matchs délocalisés à Hong-Kong à la moindre trêve pour rechercher de nouveaux partenaires et publics. Encore une fois schizophrène. 

La peur de l'étranger

On parle aussi souvent de l'afflux de joueurs étrangers, souvent plus abordables financièrement que les Français, dans nos championnats pour parler de la chute du rugby français.
Si le problème est réel et qu'il bouche l'horizon de la filière française à certains postes (10), on peut voir que les étrangers bien que nombreux en Angleterre n’empêche pas au XV de la Rose d'avoir des résultats (11).

On compte pas mal d'internationaux, mais surtout d'ex-internationaux parmi ces étrangers que l'on peut mettre dans deux catégories :
- les joueurs français, européens, sud-africains et des îles du pacifique par le biais de l'accord de Cotonou (12)
- les joueurs extra-communautaires

La seconde catégorie est la plus restrictive avec une limite de deux joueurs alors que la première, nullement.
Pour réguler la première, on a choisi d'imposer aux clubs un quota de joueurs JIFF "Joueur Issu des Filières de Formation" à savoir ayant passé au moins trois saisons en centre de formation agréé d'un club de rugby professionnel, entre ses 16 et ses 21 ans, soit été licencié pendant au moins cinq saisons à la FFR en rugby à XV, mais avant ses 21 ans.

Sauf que, vous l'aurez bien compris, cette règle ne parle pas de rugbymen seulement franco-français, il est possible de former un Fidjien ou un Samoan pour le rendre éligible JIFF.
D’où une recrudescence de jeunes talents du Pacifique dans le championnat souvent considéré plus mûrs physiquement et techniquement à âge équivalent, qui peuvent prétendre au XV de France comme Vakatawa ou après plusieurs saisons passées dans le championnat français.
De même pour les géorgiens, qui sont réputés pour être d'excellents avants.
Le problème a donc plusieurs niveaux, avec des joueurs non-sélectionnables, des joueurs qui pourront peut-être l’être un jour, ... Un vivier plus mince et aléatoire que celui du simple talent et du niveau de jeu.

On pourrait donc choisir directement des joueurs d'origine étrangère, la Nouvelle-Zélande le fait avec talent. Pourquoi pas la France ?
Nous le faisons déjà, mais le problème reste le bicéphalisme du rugby français (que j'ai abordé plus tôt) mais surtout un manque de formation et d'identité de jeu.

La formation, un enjeu identitaire

En effet, le championnat professionnel français reste âpre. Peut-être trop. Un système de montée/descente et de qualifications qui amène du suspense, mais qui conduit souvent à un jeu fermé et pragmatique.
Daniel Herrero, dans une interview donnée au jdd (13) à l’orée du lancement de la coupe du monde 2015, où il donne son avis sur le rugby français et mondial. Tout sauf dithyrambique. Selon lui, "on prend une armée de bourricots. La psyché-sumo a enseveli le rugby contemporain.".
A croire qu'il avait vu venir la catastrophe, avec une équipe de France, plus concentré sur le physique avec le mythique Wattbike et le fait de taper des pneus que sur le jeu en lui-même.
Le passage à l’ère Guy Noves, malgré un plus grand respect du jeu, ne fait que confirmer ce sentiment, celui d'une France qui se cherche trop souvent et trop irrégulière (14).

Au-delà des oripeaux du paradigme du physico-physique qui tend à créer un rugby plus statique et défensif (15), il reste encore de la place pour le jeu et la stratégie. Les placements sur le terrain et les remplacements en font partie.
Tout cela à pour but de revenir à l'essence du rugby en général, à savoir la vitesse.
La passe étant un élément primordial de cette recherche de vitesse, car le ballon va toujours plus vite qu'un joueur pour se sortir d'une situation complexe.
Le physique n'est juste qu'une variable permettant d'avoir la main mise sur l'adversaire, dont normalement, le fatiguer pour le prendre de vitesse.

Or la pression du championnat ne permettant pas trop d'expérimentation et de prise de risque, on se retranche vers un jeu minimaliste voir simpliste, ce qui finit par se ressentir sur le niveau international.
Du coup, le jeune est mis sur le banc et le vieux international rassure. Les autres passent dans le moule du rugby joué pour ne pas perdre, pas celui pour gagner. Petits bras pour des gens qui en vivent au quotidien.

Le professionnalisme à sens unique

Le professionnalisme n'a pour le moment en France compris que seul le volet financier.
Le professionnalisme, c'était en finir avec la politique des dessous-de-table (pas forcément totalement révolu), mais surtout de mettre en place des structures permettant un jeu de meilleure qualité et des athlètes d'un niveau plus élève.
Aujourd'hui, on nous parle plus que de salary-caps, de joueurs avec des agents qui annoncent leurs transferts des mois à l'avance, d’entraîneurs grassement recrutés pour être limoger à partir du troisième mauvais résultats.

Les droits télés qui devaient permettre au rugby à XV de se faire une belle notoriété, ne sont devenu qu'un synonyme des trois télés au Millionnaire, une fin en soit.
En plus du public qui se farci un spectacle pas toujours très regardable, c'est principalement les joueurs qui en paient le prix, avec des blessures qui inquiète  (16) et une après-carrière qui devient sujet de préoccupation (17), alors qu’avant c'était un symbole de réussite (18) (je devrais plutôt parler des deux carrières menés de front pour les amateurs et certains pros). Le summum étant que les scores les plus spectaculaires sont le fait des doublons et bien moins de la bonne vieille impasse. Sans oublier la finale de Pro D2 assez souvent un match à gros points parce que les équipes sont au bout du rouleau (d'où la défense en porte de saloon). Bref des moments qui touchent soit à l'absurde soit au limite du système.

Vous aurez surement compris, avec cet article qui part dans tous les sens, que les problèmes du XV de France et par extension du rugby français soient à la fois mondiaux et nationaux. Selon moi, l’écosystème français a les cartes en main pour son avenir. Il est temps d'avoir un niveau d'exigence qui correspond à nos ressources et à l’ère du professionnalisme.
Marre des atermoiements, de ce favoritisme qui pousse à transformer un joueur en manager puis se plaindre que ce dernier n'a pas d'expérience (reproche que l'on fait aussi aux jeunes joueurs).
Le rugby français était réputé pour son intelligence adaptationnelle (et sa capacité à ouvrir la boite à gifles) que la légende appelle French Flair. Adaptation dont notre sport aurait bien besoin.

Mes idées en vrac pour sortir de l'ornière :

- une formation plus pertinente, les nations du Sud font ça mieux que nous avec un réservoir plus petit
- des entraîneurs de meilleures qualités et des staffs élargis 
- valoriser le circuit amateur, un clivage moins grand avec les pros
- des championnats jeunes plus relevés voir des partenariats plus nombreux avec les amateurs ou Pro D2
- des ponts avec le VII, qui permet d'acquérir une palette technique moins restrictives

D'autres articles qui vont dans le même sens :

Plus de précisions :

Notes et références :
4 - Rapport  DNACG 2015 - lnr.fr
6 - IRB La France, 4e mondiale - fr.sports.yahoo.com
12  -Arrivée massive de joueurs étrangers - linternaute.com
18 - Les intellos du rugby - slate.fr

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